mercredi 15 octobre 2014

La vie des pages

Le jour n'a pas encore commencé à décliner. Ou alors c'est la lumière artificielle. 
Table ronde à gauche (1)
je lis. (2)
Le garçon assis en premier.  
Cahier de calcul, application de bon élève, tête brune penchée sur la règle qui trace la barre de l'addition, écriture nette. 
Le père assis en deuxième.
Carnet moleskine, stylo bille à droite du livre (3) ouvert, tête dégarnie penchée vers la page de gauche, vers la page de droite, vers l'enfant, vers la montre.
A la fin des devoirs, encore du temps.
L'homme désigne les rayonnages à l'enfant. 
Revue de cuisine (4), tête brune penchée vers la page de gauche, vers la page de droite, vers la page de gauche, vers la page de droite, à peine un regard vers la pâtisserie, vers la page de droite, vers la page de gauche, une main se tend vers le père, la langue passe sur les lèvres, une recette de hamburger aux légumes, vers la page de droite, mmm !, une recette de sandwich gratiné.
Ils partent. 
J'ai faim.
Je reste. (5)

(1)

(2) Catherine Lawless : A quoi correspond ce "bureau" où nous sommes ?
Niele Toroni : Je l'appelle bureau, parce qu'il y a une table, que j'y ai classé quelques catalogues et livres. 
(…) Je le vois plus comme une extension de mon appartement. Qui n'éprouve pas le besoin de s'isoler pour écouter de la musique, réfléchir, bricoler ? Chaque individu a besoin d'un "coin à soi". Ce n'est pas le propre de l'artiste. Malheureusement chacun ne peut pas l'avoir et des individus sont souvent réduits à le trouver dans leur voiture où je ne sais où. 
Catherine Lawless. Artistes et ateliers

(3)












(4)












(5)
Il y a beaucoup de gens dans la salle, mais on ne sent pas leur présence. Ils sont plongés dans les livres. Ils bougent quelquefois entre les pages, comme des dormeurs qui se retournent entre deux rêves. Ah ! qu'il fait bon d'être au milieu de gens qui lisent ! Pourquoi ne sont-ils pas toujours ainsi ? Tu peux t'approcher de l'un deux et le toucher doucement, il ne sentira rien. Et si tu bouscules un peu ton voisin en te levant et que tu lui fais tes excuses, il fait un signe de tête du côté d'où vient la voix, il tourne son visage vers toi sans te voir et ses cheveux sont semblables aux cheveux d'un dormeur. (6)
Rainer Maria RilkeLes Cahiers de Malte Laurids Brigge.

(6)


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