mardi 10 mars 2015

Tuesday self portrait

Depuis longtemps il voyait dans les cheveux grisonnants un symptôme, un synonyme de tristesse intérieure, et il s'y était donc résigné comme à une fatalité -mais tout cela allait changer. Il referma la porte derrière lui. L'intérieur, qui embaumait l'après-shampoing, les lotions et les produits capillaires, avait l'air classique -pas le genre d'endroit où se faire teindre les cheveux dans une autre couleur qu'orange ou rouge vif vous reléguait parmi les ringards sans espoir. Il y régnait presque l'atmosphère d'une clinique ou d'un centre de remise en forme. Un homme à la chevelure brune informe -était-ce une astuce subtilement suggestive si les coiffeurs avaient eux-mêmes souvent l'air d'avoir besoin d'une coupe ? -lui demanda s'il avait un rendez-vous. 
"Non, je n'en ai pas. Mais j'aimerais savoir si vous n'auriez pas un trou là, maintenant…"
-Coupe plus shampoing ?
-Oui. En réalité, je me demandais…" Jeff se sentait aussi gêné qu'un personnage de roman des années cinquante en train d'acheter des capotes anglaises. "Serait-il possible, peut-être, de me teindre les cheveux ?"
Le gars, qui jusque là n'avait eu l'air que très peu intéressé, retrouva soudain toute sa motivation. 
"Oui, répondit-il. La teinture est un art, comme tout le reste. Nous le faisons exceptionnellement bien. On jurerait que c'est vrai. 
-Sylvia Plath, non ?
-Tout à fait."
Un coiffeur qui citait de la poésie. Eh bien, c'était vraiment un salon haut de gamme. Ou peut-être ce genre de truc était-il devenu courant dans ce coin de Londres. 
Geoff Dyer. Voir Venise, mourir à Varanasi

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