mercredi 3 juin 2015

Voyage autour d'une (autre) chambre. 1 : l'art du patchwork.

C'était l'été dernier et lire Geoff Dyer m'avait emmenée à la Nouvelle-Orléansen Thaïlandeen Lybie… où, sans doute, je n'irai jamais. 
Cette fois, c'est dans un film que je voyage en sa compagnie… un film que, peut-être, je ne verrai jamais. 
De quelle catégorie d'écrivain suis-je, réduit à écrire le résumé d'un film ? Alors qu'il y a peu de choses que je déteste plus que quelqu'un qui, essayant de me convaincre d'aller voir un film, commence à le résumer, à en expliquer l'argument, et, de cette façon, détruit toute possibilité qu'on le voie. Pour ma défense, je dirais que Stalker est un film qui peut se résumer en quelques phrases. De sorte que, si résumer signifie réduire à un synopsis, alors ceci est le contraire d'un résumé. C'est une amplification et une expansion. Ce qui continue de poser question, c'est si la composition d'un tel résumé est une manière raisonnable de passer le temps.*
Du temps, il en est question. D'ailleurs : Pourquoi as-tu pris ma montre ? sont les tout premiers mots prononcés dans le film, la question que pose sa femme au stalker. Et quand celui-ci consulte le cadran, Geoff Dyer évoque The Clock, un film de vingt-quatre heures que Christian Marclay a réalisé en collant bout à bout des séquences de films indiquant toutes les heures d'une journée. 

A peine trois semaines plus tard, en lisant la description d'une scène de Stalker dans Une existence tranquille de Kenzaburô Ôé, 
Le stalker, revenu épuisé mais indemne de la "zone" malgré tous les dangers, était lui aussi désespéré. Il avait compris qu'en réalité ses clients se moquaient bien de la satisfaction spirituelle qui devait être accordée aux êtres humains dans la "chambre" située au coeur de la "zone". Il était pourtant convaincu que la "zone" avait le pouvoir de guérir les êtres déchus. C'était quelqu'un de sérieux, au point d'en être pitoyable. Après l'avoir mis au lit, sa femme se retournait soudain vers nous, et s'adressant à la caméra comme pour répondre à une interview, elle se mettait à raconter ce qu'elle pensait dans le secret de son coeur. Peut-être s'agit-il d'une technique cinématographique courante, mais j'ai vraiment aimé cette séquence. La femme rappelait que le guide était un jeune homme gourd, la risée de tous, et que, lors de son mariage, elle s'était heurtée à l'opposition de sa mère qui considérait les stalkers comme des êtres maudits et soutenait que de leur union ne pourraient naître que des enfants anormaux. Si elle avait passé outre, c'est qu'elle avait pensé, à moins que ce ne soit une simple justification a posteriori, qu'à une existence monotone elle préférait encore une vie peut-être difficile mais qui lui apporterait par moments du bonheur.

Kenzaburô Ôé. Une existence tranquille.
je pensai que, peut-être, il se trouvait, à travers le monde, assez de livres relatant ainsi des visions du film de Tarkovski, dont les extraits, collés bout à bout, reconstitueraient entièrement, finalement et subjectivement, le film.

*Le livre de Geoff Dyer, Zona : a book about a film about a journey to a roomun livre à propos du film Stalker de Tarkovski, est traduit en espagnol par Cruz Rodriguez Juiz et intitulé : Zona. Un libro sobre una película sobre un viaje a una habitación. C'est de l'espagnol que je fais une traduction libre.  

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