jeudi 17 septembre 2015

La part animale

Aucun 
de ceux que j'appelle ici
mes amis
mes copains
n'est humain.
J'étais nettoyé de tout souvenir humain. Ah ! oui tout. Il ne me restait plus de souvenir en moi, ni d'une ligne de visage, ni d'une couleur d'oeil, ni d'un timbre de voix. Rien. Mais j'étais extraordinairement sensible aux taches d'ombre et de lumière que la bise promenait sur le monde et dont les reflets me touchaient ici au fond; j'entendais dans le coin du ciel le battement d'aile d'un faucon; je commençais à comprendre les odeurs, les bruits, les formes qui s'imprimaient dans mes mains et à leur donner une valeur par rapport à moi. J'avais cessé d'avoir affaire avec des hommes, et des femmes, mes semblables. J'étais obligé de me mêler dans les grands sentiments du granit, dans la psychologie des montagnes, des forêts, des torrents, des vents et des révolutions du soleil, dans le grommellement de toutes les bêtes autour de moi, depuis la puce arpenteuse de l'eau jusqu'à l'aigle qui criait son "oh hi oh hi" sur les terrasses du Ferrand. 
Moi, à quatre pattes, j'étais heureux à en grogner comme un blaireau. 
Jean Giono. Rondeur des jours

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