jeudi 14 avril 2016

En compagnie d'Onetti

Il y a des écrivains dont je ne lis pas les livres mais dont le point de vue sur leur métier ou sur leurs lectures m'intéresse. C'est ainsi que j'ai lu Pura alegría (Pure joie) de Antonio Muñoz Molina, livre dans lequel il parle de la fiction (1), de sa formation de lecteur, de la mémoire et du passé, de Juan Carlos Onetti. 

Aux personnages de Onetti, comme aux personnes réelles, on peut appliquer directement l'avis de Pascal selon lequel personne ne peut vivre de manière stable dans le présent. Tout le monde habite dans un mélange de temps, un carrefour d'expectatives et de souvenirs qui se confondent dans le présent et qui, de nombreuses fois, le défigurent ou l'effacent. En ce sens, on pourrait dire que le jeu de l'affirmation et de la négation du présent est l'un des organes vitaux de la narration de Onetti, en écho avec son autre jeu préféré, celui de l'affirmation et de la négation du réel. De là que les faits, dans les contes, ne se présentent quasiment jamais avec une ambition ou un apparence d'objectivité, d'événements neutres auxquels le lecteur assiste avec aussi peu d'intermédiaire qu'à la vie qu'il a en face de lui : dans les contes, il y a presque toujours quelqu'un qui raconte ou quelqu'un qui se souvient et les mécanismes de la mémoire, de la parole, de l'invention involontaire, de l'ignorance partielle, de la pure défiguration du temps, sont une partie de la matière racontée. 
Traduction libre (2)

Onetti, donc. Une nuit de chien, en français (3), dans ma bibliothèque, je le commençai sur le champ. 

Weiss avait dit au téléphone : 

-Il paraît qu'il y a un billet pour vous. Rien de sûr. Un garçon d'en haut, il sait qui vous êtes. Au First and Last, vous connaissez ? D'accorce, ce soir à neuf heures. Bonne chance, c'est tout. Envoyez-nous des cartes postales, vous savez, celles avec vue sur une baie, qui disent "Les beautés du monde." Au revoir. 

  
Juan Carlos Onetti. Une nuit de chien.


Quelques jours plus tard, dans le bus le matin, j'écoutai une autre conférence à propos de Onetti, cette fois par Mario Vargas Llosa. (4)
À la bibliothèque, passant devant son nom, j'ouvris au hasard un de ses livres avant de me rendre compte qu'il était justement consacré à Onetti. 

Le thème de la fiction et la vie est une constante qui, depuis des temps lointains, apparait dans la littérature et, en plus du Quichotte et de Madame Bovary, beaucoup d'autres l'ont recréé et exploré de mille manières différentes. Mais peut-être qu'il n'apparaît chez aucun autre auteur moderne avec autant de force et d'originalité que dans les romans et les contes de Juan Carlos Onetti, une oeuvre dont, sans trop exagérer, nous pourrions dire qu'elle est presque intégralement conçue pour montrer la manière subtile et dense dont, à côté de la vraie vie, les êtres humains ont construit une vie parallèle, de mots et d'images aussi faux que persuasifs, où aller se réfugier pour échapper aux désastres et aux limitations que la vie comme elle est oppose à leur liberté et leurs rêves. Traduction libre (5).

Sur le présentoir des dvd, je pris un film (6) que je n'aurais jamais remarqué quelques jours avant. (7)

(1)
Une partie des chapitres du livre sont adaptés de conférences qu'il a prononcées à la fondation Juan March en 1991 et qui sont à écouter ICI

(2)
A los personajes de Onetti, igual que a personas reales, se les puede aplicar aquel dictamen de Pascal según el cual nadie vive de manera estable en el presente. Todo el mundo habita tiempos mezclados, una encrucijada de expectativas y recuerdos que se confunden en el ahora mismo y que muchas veces o lo desfiguran o lo borran. En este sentido, podría decirse que el juego de la afirmación y la negación del presente es uno de los nervios vitales de la narrativa de Onetti, en correspondencia con su otro juego más querido, el de la afirmación y la negación de lo real. De ahí que los hechos, en los cuentos, casi nunca se presenten con una ambición o una apariencia de objetividad, de sucesos neutrales que el lector presencia tan sin mediación como la vida que tiene frente à sí : dentro de los cuentos casi siempre hay alguien que cuenta o alguien que recuerda y los mecanismos de la memoria, de la palabra, de la invención involuntaria, de la ignorancia parcial, de la pura desfiguración del tiempo, son una parte de la materia contada. 
Sueños realizados : invitación a los relatos de Juan Carlos Onetti in Pura Alegría de Antonio Muñoz Molina.

(3)
Traduction Louis Jolicoeur.

(4)
À écouter ICI. (Aux alentours de 42', Vargas Llosa évoque savoureusement la rencontre de Onetti avec des poètes beatniks -Allen Ginsberg entre autres) 

(5)
El tema de la ficción y la vida es una constante que, desde tiempos remotos, aparve en literatura y, ademas de el Quijote y Madame Bovary, muchas otras lo han recreado y explorado de mil maneras diferentes. Pero acaso en ningún otro autor moderno aparezca con tanta fuerza y originalidad como en las novelas y los cuentos de Juan Carlos Onetti, una obra que, sin exagerar demasiado, podríamos decir está casi íntegramente concebida para mostrar la sutil y frondosa manera como, junto a la vida verdadera, los seres humanos hemos venido construyendo una vida paralela, de palabras e imágenes tan mentirosas como persuasivas, donde ir a refugiarnos para escapar de los desastres y limitaciones que a nuestra libertad y a nuestros sueños opone la vida tal como es. 
Mario Vargas Llosa. El viaje a la ficción
(6)
Un film uruguayen de Pablo Dotta. 
"Le Montevideo des années 90 est visité par une Française qui suit les traces de l'écrivain lauréat, Juan Carlos Onetti et les événements fragmentaires d'une histoire nationale énigmatique. Elle est cherche à trouver des photos du jour où le président Baltasar Brum se suicida en présence de la presse et d'un Zeppelin survolant la ville, dans les années 30. Un photographe tente de l'aider et, ensemble, ils se voient mêlés à une mystérieuse intrigue. Est-il possible d'inventer les images d'un pays sans mémoire ?"
source : Filmaffinity

(7)
À moins, ne puis-je jamais m'empêcher de penser, qu'il n'ait pas été mis à la portée de mon regard par hasard. 

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