lundi 5 septembre 2016

Fille des îles (fragments d'insularité)

J'étais allongée dans l'eau, sur le dos, et un oiseau m'a survolée. 
La lumière n'était déjà plus d'août alors que septembre n'était encore qu'un projet. Mais 
je m'y sentais chez moi. Je me sentais chez moi dans cette lumière-là, 
davantage que dans l'eau, moi qui suis une fille des terres, une fille de septembre.
A défaut de pouvoir m'en souvenir, je sais imaginer la scène. 
Une jolie rousse marchant dans l'océan le long d'une plage de l'île, une main en visière au-dessus de ses yeux, apercevant les deux fillettes qui jouent avec leur père, plus loin. 
Une jolie rousse et c'est ma mère, nageant 
dans l'océan et moi, moi nageant 
également, dans sa mer intérieure.

dimanche 4 septembre 2016

Des insomnies, des écrivains, des spaghettis

On s'est croisés au lever du jour, dans le lit.
Où t'étais ? j'ai dit. Au salon, avec Richard, tu m'as répondu. Avec des anguilles, si ça se trouve, pour vous tenir compagnie, j'ai pensé. Mais. Plutôt que de te parler de la recette de spaghettis de Richard Brautigan, j'ai préféré te laisser te rendormir et je suis allée à la cuisine avec Ricardo. J'ai lu Ricardo Piglia pendant que cuisaient des lentilles et que je mordais dans mes toasts à l'avocat.
Je suis assis ici, dans un fauteuil de velours contre une fenêtre qui donne sur les toits de Buenos Aires, lisant Henry James, en même temps que les pensées les plus diverses passent devant moi, comme si je les voyais, comme si ma tête était connectée à une chaîne personnelle de télévision. Notre propre chaîne qui fonctionne parallèlement à notre lecture, comme cela arrive parfois avec des amis à qui je rend visite chez eux et que je trouve en train de lire avec la télévision allumée, parfois sans le son, seulement avec les images pendant qu'ils écoutent de la musique. 
Traduction libre d'un extrait* de  Los diarios de Emilio Renzi de Ricardo Piglia.


*Estoy aquí sentado en un sillón de felpa contra una ventana que da a las azoteas de Buenos Aires, leyendo a Henry James,  al mismo tiempo los pensamientos más variados cruzan frente a mí, como si los viera, como si mi cabeza estuviera conectada a un canal personal de televisión. El canal propio que funciona paralelamente a la lectura, como sucede a veces con algunos amigos a los que visito en su casa y los encuentro leyendo pero con el televisor prendido a veces sin sonido, sólo con imágenes, mientras en un combinado escuchan música. 

vendredi 2 septembre 2016

Le cabinet des rêves 295

Un rêve. Je suis au milieu de la foule dans une rue d'une ville inconnue et je parle une autre langue, une langue que personne ne comprend.  
Traduction libre d'un extrait* de  Los diarios de Emilio Renzi de Ricardo Piglia.
*Un sueño. Estoy en medio de una multitud en una calle de una ciudad desconocida y hablo otro idioma, un idioma que nadie entiende.
Je suis avec M. 
Comme j'ai rendez-vous pour un entretien, je le laisse dormir et je m'en vais. 
Je prends un train un peu au hasard : en fait, je suis dans la banlieue de Tokyo et je dois me rendre à Shinjuku pour mon rendez-vous. Au moment où le train fait demi-tour et s'engage dans la campagne, je réalise avec fatalisme que nous n'allons pas dans la bonne direction. 
Je suis dans un wagon découvert qui ressemble à celui d'un petit train touristique. D'ailleurs, il y a des touristes autour de moi dont deux jeunes Français. 
Le plus jeune fait mine de s'emparer de mon téléphone portable. 
Je lui fais une remarque en français qui le désarçonne parce qu'il ne pensait pas que je le comprenais. 
Son grand frère commence par rire de la situation avant de me dire que ma remarque était stérile. 
Je lui demande quelle réaction aurait été plus adéquate ? Molester son jeune frère ? 
En disant cela, j'attrape celui-ci par les cheveux en riant alors que c'est sérieusement que je ferais volontiers ce geste. 

C'est le terminus du train. 
Il y a une plage en contrebas, nous ne sommes même pas dans une gare. 
Je ne vois pas du tout comment je vais pouvoir aller à Shinjuku. 
J'adresse la parole à une femme dans un mélange de japonais et d'espagnol. 
Elle me répond avec des mots français pour me faire comprendre que je devrais aller dans le café qu'elle me désigne. 
Je reconnais ce café pour l'avoir fréquenté plusieurs fois quand j'habitais à Tokyo.
Je me dis que, en effet, je peux y bénéficier d'une connexion internet, non seulement pour demander des détails sur mon rendez-vous mais aussi pour le reporter car je ne vais pas pouvoir y arriver. 

Rêve du 23 août 2016

jeudi 1 septembre 2016

Ce que je sais de Sophie B.

Rien. Je ne sais rien de Sophie B. Je ne sais rien ou presque, à part qu'elle est morte mais la vie de quelqu'un peut-elle se réduire à sa mort ? Je sais de Sophie B. qu'elle est née dans le dernier tiers du XXème siècle, qu'elle y est morte aussi, une vingtaine d'années plus tard. À peine. À peine une vingtaine, je veux dire. Voilà : encore maintenant, je pense à Sophie B. Oh, pas souvent. Pas même régulièrement. Plus souvent avant que maintenant : quand il m'arrivait de frôler la mort, de me dire que j'aurais pu mourir, je me disais ça que, franchement j'aurais pu mourir aujourd'hui ! Ce n'était pas moi qui frôlais la mort mais plutôt la mort qui avait alors, souvent, des allures de taxis. Y en a-t-il encore beaucoup, des comme moi ?, je ne dis pas ses proches, hein !, non je veux dire des vraiment comme moi. Qui n'étaient pas davantage que je l'étais intimes de Sophie B. mais qui comme moi, s'en souviennent encore. Ce que je sais de Sophie B. c'est qu'elle est morte et qu'elle parlait trop. Sophie B. parlait, le savait, parlait trop, ne pouvait s'en empêcher. À la mort de Sophie B., j'étais plus jeune qu'elle. À peine. À peine plus jeune, je veux dire. Alors, forcément, je ne le suis pas restée longtemps, plus jeune. J'ai vite été plus âgée que Sophie B. et quand je pensais à elle, je me demandais à quoi bon ? J'avais l'âge où l'on croit encore qu'il peut y avoir une réponse à ce genre de questions, à quoi bon ? C'est vrai, non ? : il y a un âge où l'on pense qu'il y a un sens. Et un âge où l'on pense que, s'il n'y en a pas de sens, au moins y a-t-il la chance. La chance d'atteindre l'âge de l'indulgence, l'âge où l'on peut s'aimer bien. Car Sophie B. parlait, le savait, parlait trop, ne pouvait s'en empêcher et pas davantage elle ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Sophie B. s'en voulait trop pour s'aimer. Elle parlait trop, elle le savait mais nous en demander pardon, c'était encore parler et nous horripiler davantage. Car Sophie B. finissait, c'est vrai, par nous horripiler. Elle parlait, elle s'en voulait, nous n'aurions jamais pu lui en vouloir autant qu'elle s'en voulait. Si je ne sais rien de Sophie B. si ce n'est qu'elle est morte, c'est parce qu'elle parlait, elle parlait trop pour qu'on l'écoute. C'est pour cela que je ne sais rien de plus de Sophie B. que si elle avait été l'être le plus secret que j'aie jamais rencontré. Sophie B. parlait mais je n'ai rien retenu de tout ce que je l'ai entendue dire. Ce que je sais, c'est qu'elle était joyeuse et qu'elle aimait chanter, presque autant que parler et peut-être chantait-elle quand elle pédalait car je ne l'imagine tout de même pas parler, Sophie B., en faisant du vélo. Ce que je sais c'est qu'elle faisait du vélo et qu'il n'y pas eu de temps de latence, pas de suspens, pas de comas mais du silence. Quand le camion l'a heurtée, elle si légère et à vélo, même si elle était en train de chanter, Sophie B. s'est tue, Sophie B. est morte.